▴ Rencontre avec Maria Florez
[2018] Installée depuis dix-huit ans rue de Mérode à Forest, Maria a observé au fil des années les changements du quartier Saint-Antoine. Mais elle n’est pas seulement témoin de la vie qui y fourmille, elle est sans aucun doute l’une des actrices de sa vitalité. Animatrice à la maison de quartier Saint-Antoine, elle travaille depuis presque quinze ans pour l’alphabétisation des femmes. Maria sera l’une des protagonistes de l’exposition Mémoire Active au BRASS, qui met en relation le passé industriel du quartier – avec, en son cœur, la brasserie Wielemans – et son présent, animé par un savoureux bouillon de mouvements associatifs et d’initiatives citoyennes.
Il y a dix-huit ans, lorsqu’elle a l’opportunité d’emménager dans le quartier Saint-Antoine, Maria est prise d’une peur. Pour cette Bruxelloise d’origine espagnole, le souvenir des dites « émeutes » de 1991 est encore assez vif. Le quartier reste stigmatisé comme un lieu d’affrontements entre les jeunes et la police. La brasserie Wielemans, qui avait été source d’activité et d’emploi pendant des décennies, se trouve à l’époque totalement à l’abandon ; les bâtiments ont été vandalisés, on y a même découvert un cadavre, enroulé dans un tapis.
Maria se rappelle qu’à la fin des années 2000, lorsque le Wiels puis le BRASS naissent des cendres de ce patrimoine industriel, une autre dynamique s’amorce. C’est à cette époque qu’à quelques pas de là, elle commence à donner des cours d’alphabétisation, une activité qui continue à prendre du sens pour elle chaque jour : « Je rencontre des femmes dont le mari est également analphabète, qui laissent traîner le courrier par terre en espérant que la dernière lettre qui reste sera la leur. Quand, en fin d’année, ces femmes viennent me voir l’air réjoui et soulagé, en disant qu’elles ont su déchiffrer leur nom sur le courrier, cela n’a pas de prix. »
J’ai l’impression qu’il y a beaucoup de gens ici qui sont en souffrance, qui savent qu’ils n’ont pas “la gueule de l’emploi”, comme on dit.
Maria précise qu’elle apprend elle-même énormément au contact de ces femmes laissées à la marge de la société, que personne ne valorise. « Il y a des apprenantes vraiment très intelligentes. Elles ne s’en rendent pas compte. » Un jour, la maison de quartier Saint-Antoine a organisé une sortie au parc ; le groupe d’alphabétisation de Maria était accompagné par un spécialiste en botanique. « À un moment, une des apprenantes a montré une plante au spécialiste et lui a expliqué ce qu’on pouvait en faire au niveau médicinal. Le spécialiste ne connaissait pas ces usages, il a commencé à prendre des notes. Nous avons poursuivi la balade… Elle lui a montré d’autres plantes en lui expliquant les décoctions possibles pour soigner les verrues, etc. Elle était très fière. Je lui ai demandé comment elle connaissait tout cela. Elle m’a répondu qu’elle n’avait pas eu la chance d’aller à l’école parce qu’elle venait de la campagne au Maroc, mais que son papa avait pris le temps de lui apprendre tout ce qu’il y a dans la nature. C’était magnifique ! »
Même si le quartier reprend vie après une période fantôme, Maria observe au quotidien l’exclusion sociale d’une partie de ses habitants et le manque d’infrastructures. « Il y a beaucoup de gens ici qui sont en souffrance, qui savent qu’ils n’ont pas « la gueule de l’emploi », comme on dit, et qui ont l’impression que certains équipements n’est pas pour eux. Dans le quartier, on n’a plus de bureau de poste, de banque, de supermarché… » Maria aimerait voir s’ouvrir une mercerie, une droguerie… Elle rêve d’un glacier où l’on peut se retrouver en famille. « J’aime les brassages », conclut-elle. « Qu’on soit tous ensemble, pas les uns à côté des autres. »