La ville vue par ses habitants

▴ Entretien avec Catherine Jourdan

[2018] En octobre, le BRASS accueille Catherine Jourdan, artiste documentaire et psychanalyste, qui mène depuis plusieurs années un projet cartographique. Son nom ? La géographie subjective. Jusqu’ici, Catherine Jourdan a travaillé avec les habitants de différentes villes de France, du Luxembourg et de Belgique (par exemple avec un groupe de femmes apprenantes en alphabétisation à Anderlecht), pour composer en tout vingt-trois cartes. Cette fois, elle collabore avec un groupe de Forestois bénéficiaires du CPAS pour qu’ils cartographient ensemble la commune de Forest. Mais ne nous y trompons pas ! Il s’agit moins d’un exercice académique que d’une création poétique à plusieurs mains. Éclairage par Catherine Jourdan.

En quoi consiste la cartographie à plusieurs ?

Il s’agit de réunir un groupe de personnes autour d’une page blanche et de prendre le territoire sur lequel ces personnes habitent comme prétexte pour élaborer un document commun. Ce document, en l’occurrence, est une carte géographique. Ce qui est important au final, c’est que cette carte parle de ce que c’est d’être ensemble dans un lieu, d’avoir des perceptions communes et des perceptions singulières.

Peux-tu expliquer l’idée de singularité ?

Oui ! D’une certaine manière, depuis que nous sommes nés, nous sommes entourés par d’autres personnes qui parlent, qui nous prêtent leur langage, qui nous disent comment il faut regarder le monde. Pourtant, dans ce bain qui nous imprègne, nous avons une manière singulière de faire notre chemin. De décider qu’un mot nous plaira plus qu’un autre, qu’un endroit nous touchera plus qu’un autre. Chacun a une manière d’entrer dans le réel par la petite porte. Et ce qui m’intéresse, c’est que cette singularité liée aux joies, aux peines, aux sensations de chacun ne soit pas ravalée du côté de l’anecdotique, du « sympa mais pas sérieux ». Pour moi, ce regard singulier est la chair-même de la réalité. Ce qui fait qu’on se lève le matin et que la vie a de l’intérêt.

“Chacun a une manière d’entrer dans le réel par la petite porte. Ce qui m’intéresse, c’est que cette singularité ne soit pas ravalée du côté de l’anecdotique.”

Quel est le sens, pour toi de faire ces cartes avec les habitants des villes ?

Le but pour moi est de montrer qu’on est autant habité par un lieu qu’habitant d’un lieu. Et ce que j’essaie de mettre en valeur, à travers ce travail collectif, c’est la ruse des gens. Leur manière de braconner avec le réel. De la même façon qu’on parle d’«écrivain public», je suis un peu « géographe publique ». À cette différence près que j’y mets de mon regard, de ma sensibilité.

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