▴ Rencontre avec Louise Martin Loustalot
[2020] Cette année, le BRASS est devenu membre du label United Stages, aux côtés d’une cinquantaine de lieux culturels belges (théâtres, centres culturels, structures d’éducation permanente, fédérations culturelles…). Adhérer à ce label, cela signifie, pour les lieux culturels : s’engager à sensibiliser ses publics aux valeurs de respect, de tolérance et d’accueil (vis-à-vis des migrants et aussi, plus généralement, des personnes en situation de fragilité), à récolter des fonds* et parfois même à accueillir, de jour ou de nuit, celles ou ceux qui ont besoin d’un toit, d’un lieu calme non-étiqueté « sdf ».
Louise Martin Loustalot, coordinatrice de United Stages, nous parle de ce que peut le secteur culturel pour contribuer à la lutte contre les inégalités.
Est-ce que tu peux revenir sur le mouvement de solidarité qui a donné naissance à United Stages ?
En 2015, il y a eu une vague d’immigration en Europe. En Belgique, la Plateforme Citoyenne de Soutien aux Réfugiés a été créée à ce moment-là, pour aider les personnes qui se retrouvaient à dormir au Parc Maximilien en attendant de déposer une demande d’asile. En 2017, « La Jungle » [campement de migrants tentant leur chance pour atteindre l’Angleterre] a été fermée à Calais. Ça a fait exploser le nombre de personnes qui arrivaient en Belgique. De nouveau, un super effort de solidarité citoyen s’est cristallisé autour de la Plateforme Citoyenne, mais rien n’a été mis en place au niveau du gouvernement. Et là, Monica Gomes [directrice du théâtre La Balsamine] a lancé un appel dans son réseau, disant : « Nous, le secteur culturel, nous n’avons pas de moyens financiers énormes. Mais nous avons des infrastructures, et une relation particulière à notre public, qui nous permet de sensibiliser, et de porter un regard sur ces questions différent du traitement journalistique classique. Nous voulons aider, quelle que soit la forme que prend ce soutien. » Assez rapidement, elle a été rejointe par d’autres directions de lieux culturels.
Qu’est-ce que ces institutions ont décidé de mettre en place ?
Collectivement, elles ont établi 3 formes d’actions :
– Soutenir directement les personnes en situation de fragilité (essentiellement des migrants) : les accueillir dans les théâtres en journée ou la nuit, leur permettre de laver leurs vêtements, prendre des douches ou un repas chaud…
– Soutenir les associations de première ligne. Par exemple, en leur donnant l’opportunité de venir parler directement au public avant ou après le spectacle.
– Récolter des fonds auprès du public des lieux culturels (dons possibles via la billetterie par exemple) et les reverser aux associations de première ligne*.
« Donner à manger dans des barquettes en plastique dans la rue à des gens qui n’ont nulle part où dormir le soir, c’est indigne ! »
Comment la position du label a-t-elle évolué de la défense des droits des étrangers vers la défense des droits de toutes les personnes fragiles ?
C’est une chose qui nous semblait essentielle pour le label : décloisonner les situations de pauvreté et de privation de droits quand elles partent d’un même phénomène d’exclusion. Quand on veut dépasser l’approche humanitaire (c’est-à-dire la question de l’urgence), il faut entrer dans une réflexion plus structurelle. Ce qui nous donne le constat suivant : En Belgique, il y a des gens, quelle que soit leur origine, qui n’accèdent jamais à leurs droits. Qui peinent à accéder à la santé, à l’éducation, au logement… Et de fait, ces gens n’ont aucune autre possibilité que de vivre sur des réseaux de solidarité. Or, on ne peut pas accepter que des gens vivent ainsi dans des réseaux parallèles de relégation. En d’autres termes, s’il reste important de collecter des chaussettes, des sous, de la nourriture, il faut en permanence redire : Donner à manger dans des barquettes en plastique dans la rue à des gens qui n’ont nulle part où dormir le soir, c’est indigne ! Ce sont des petits pansements sur des problèmes qui nécessitent des décisions politiques consistantes.
Tu dis que c’est important que des associations de terrain interpellent le label sur ces questions…
Oui, la question centrale est la suivante : Est-ce qu’en gérant les effets de la pauvreté, nous ne sommes pas pas en train de cautionner ce système de relégation ? Il est important de poser un regard critique sur les gestes bienveillants qui ont des effets pervers, dans le sens où ils parent à l’urgence sans questionner fondamentalement les pouvoirs politiques. De même, lorsqu’on mène des ateliers artistiques dans des quartiers populaires auprès des personnes qui sont privées de presque tout, on espère toujours que cela aura un effet positif sur les personnes, sur leur émancipation, sur leurs conditions de vie…. Mais la réalité, c’est que d’une certaine manière, on contribue à une mission de maintien de l’ordre social…
Pour toi, le secteur culturel est encore trop « dans sa bulle » ?
Je pense qu’en Belgique, on se satisfait de beaux discours sur la démocratie, sur la participation citoyenne et sur les droits culturels, mais soyons honnêtes : dans la pratique, nous sommes très loin des idéaux qui fondent le secteur culturel. Ceci dit, je suis persuadée qu’une prise de conscience est en cours dans plein de lieux culturels qui ont commencé à mener un changement de paradigme profond !
* Les fonds récoltés dans le cadre de United Stages sont ensuite versés aux associations DoucheFLUX, La Voix des Sans-papiers, La Plateforme Citoyenne de soutien aux réfugiés, Solidarity is not a crime, et Deux euros cinquante.
Plus d’infos sur Facebook United Stages Belgium.