Humour noir

▲ Rencontre avec Rami Almidani

[2021] Les résidences d’artistes se poursuivent au BRASS et cette semaine, c’est l’artiste syrien Rami Almidani qui travaille dans la salle des cuves. Épaulé par la réalisatrice Alizée Honoré, il peaufine l’écriture d’un court-métrage intitulé « Le dernier repas ». Un projet inspiré par le sentiment d’impuissance qui succède au soulagement d’avoir fui une région enlisée dans la catastrophe. Avec une bonne dose d’humour noir, Rami propose une réflexion acide sur l’époque que nous vivons : celle d’internet et de la circulation frénétique de l’information, où les désastres humanitaires sont connus, mais où si peu de choses bougent.

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Peux-tu nous raconter le scénario de ton futur film ?

Deux frères syriens réfugiés à Bruxelles, Ismaël et Saad (aidés par leur ami Charles), kidnappent une star de cinéma belge (qui pourrait être jouée, idéalement, par Virginie Efira — Virgnie, si tu nous lis…) Ils sont doux et maladroits, honnêtes mais désespérés, ils veulent river les regards de milliers d’internautes sur la famine dans leur pays. Ils demandent à l’actrice de les filmer et de diffuser la vidéo en live sur son compte Facebook. Je ne vous révèle pas ce qui se passe dans ce live ! Quoi qu’il en soit, une drôle de relation se noue entre ces personnages, un mix de tension et de complicité, avec des dialogues burlesques parfaitement décalés par rapport à la dimension dramatique de la situation.

 

Quel message veux-tu faire passer à travers cette aventure d’enlèvement tragi-comique ?

Avec mes amis acteurs, les frères Malas* (qui joueront dans le film), on a eu envie de raconter une histoire sur la nécessité de s’indigner. De ne pas s’habituer à l’idée que des gens meurent de faim ou vivent dans la rue, à Damas ou à la gare du Midi. On voulait raconter ce sentiment d’impuissance qui conduit à des gestes absurdes. En rire, aussi.

 

Pourquoi as-tu eu envie de raconter cette histoire maintenant, à ce moment de ta vie ?

Ça fait 5 ans que je suis en Belgique. Aujourd’hui, je ne suis plus dans les problématiques de l’urgence qui étaient les miennes au début. Je me sens chez moi à Bruxelles comme jamais je ne me suis senti à Damas. J’ai l’impression d’être devenu capable d’écrire une histoire qui parle aussi aux Européen.ne.s.

 

En quoi est-ce important que ce soient des réfugiés qui fassent leurs propres récits ?

J’ai vu beaucoup de films qui parlent des migrations et de ce qui se passe en Syrie. Mais la plupart du temps, c’est vu d’une perspective européenne, et certains récits sont davantage mis en avant que d’autres : par exemple, les drames en mer méditerranée. Pour avoir vécu l’épisode du bateau pneumatique perdu en mer au milieu de la nuit, je peux dire que je ne conseille cette petite croisière à personne ; mais ce que je veux dire, c’est qu’il y a d’autres récits, moins spectaculaires, à faire entendre : notamment le sort des familles qui restent bloquées en Syrie et n’ont même plus de pain !

 

Je pense que l’humour sur des sujets graves, c’est à la fois la chose la plus facile et la plus douloureuse à recevoir. Parce que tu ris, et la seconde d’après, tu reçois une claque dans le visage.

 

Aborder des sujets éprouvants avec les lunettes de l’humour, qu’est-ce que ça ajoute ?

J’aime rire de tout, y compris de moi-même. Jusqu’à l’âge de 22 ans, j’étais très en colère. J’avais beaucoup de frustrations, de haine… Je viens d’une famille de gauche, totalement en décalage avec la société syrienne. À force d’écartèlements, je ne savais plus si le problème était ma famille ou le reste de la société. À un moment, je me suis rendu compte que si on laisse la colère prendre le pouvoir à l’intérieur de soi, on est paralysé. Je pense que les blagues permettent d’éviter cette paralysie. Et je crois que l’humour sur des sujets graves, c’est à la fois la chose la plus facile et la plus douloureuse à recevoir. Parce que tu ris, et la seconde d’après, tu te prends une claque dans le visage. En tout cas, dans cette époque sinistre, on a bien besoin de rire. (…) Et en fait, je suis un optimiste !

 

 

* Ahmad et Mohamad Malas ont joué au BRASS leur spectacle Les deux réfugiés en 2017.