▴ Rencontre avec Ismaël et Amine
[2016] Au mois d’avril se jouait au BRASS une pièce intitulée « Barbus au sommet d’une montagne ». Le spectacle était interprété par dix jeunes du quartier, qui ont répété pendant plusieurs mois à la Maison des Jeunes de Forest, sous l’égide de leur animateur Ismaël Mahla et du metteur en scène Nicolas Philippe. Ismaël et Amine, un des jeunes interprètes de la pièce, nous en disent plus.
Amine a 17 ans. Il habite rue de Mérode, à deux pas du BRASS. Il fréquente la Maison des Jeunes depuis l’âge de 8 ou 10 ans, y passe une bonne partie de son temps, y compris pour aider des plus jeunes à faire leurs devoirs.
Arborant un T-shirt « Everyday is a good day », il raconte qu’il interprétait, dans la pièce, le rôle du « mouton débile ». C’est -à-dire ? « J’étais comme un petit fou sur scène, j’amusais la galerie ». Ismaël reprend l’histoire depuis le début. Les Barbus au sommet d’une montagne relate l’histoire de bergers barbus vivant dans la montagne. Un jour, ils entendent qu’une explosion a lieu au pied de la montagne, en ville. Un policier arrive au sommet de la montagne, et leur demande de se raser, sinon ils seront exécutés. Les bergers prennent peur et obtempèrent, rasant barbe et cheveux. Par la suite, arrive un autre policier, qui soutient cette fois que les coupables de l’explosion sont des chauves rasés de près…
Ismaël résume le propos du spectacle en ces termes :
« Tout ça pour dire que tu peux être juif, marocain, arabe, barbu, non barbu… Si demain, on veut que tu sois visé, tu seras visé. Et même si tu n’as rien fait, tu ne pourras rien changer au fait que certains veulent te nommer responsable du mal qui a été fait. »
Le texte est signé par un auteur canadien, Martin Bellemare. « Les jeunes l’ont adoré dès qu’ils l’ont lu. », assure Ismaël. « C’est un texte qui, basé sur un ton de comédie, fait écho aux événements récents. Il parle de discrimination et d’amalgame, dans un contexte de radicalisation. »
Ismaël a, comme Amine, grandi à Forest et fréquenté la Maison des Jeunes avant d’y devenir animateur. C’est d’ailleurs à travers ce lieu qu’il a découvert la pratique du théâtre, qui ne l’avait pas accroché d’emblée. « Malheureusement, à l’époque je ne pensais pas que cela m’apportait quoi que ce soit, ne serait-ce que l’aisance dans l’expression orale. Nous étions plus intéressés par des activités où nous étions simplement des consommateurs. Quand il s’agissait de participer, de nous placer dans une dynamique de groupe, nous étions assez renfermés. Mais quand je suis devenu animateur, j’ai eu envie de monter une pièce de théâtre. » Ismaël revient sur des débuts laborieux il y a 3 ans, marqués par une difficulté à motiver les jeunes pour monter une pièce. « Nous nous réunissions les mercredis ou les week-ends, les jeunes faisaient toutes sortes d’improvisations qui leur permettaient de se lâcher et de s’exprimer. Petit à petit, ils ont adopté l’idée de créer un spectacle qui serait présenté à un public. Nous avons travaillé avec le metteur en scène Nicolas Philippe et l’auteur Laurent Van Wetter, qui adaptait le texte en fonction des réactions des jeunes. »
« Quand on a joué au BRASS, on avait vraiment le trac ! » se rappelle Amine. « La salle était remplie, il y avait des gens debout, nos famille, nos amis…. Au début, à cause du trac, on ne se donnait pas à fond. Mais au fur et à mesure des minutes qui passaient, on a commencé à parler plus fort, à se lâcher. Comme mon rôle est de faire rire la galerie, il vaut mieux être un peu détendu ! Au final ça s’est bien passé. Je ne pensais pas qu’on nous applaudirait autant. »
Ismaël est convaincu que le théâtre a permis à ces jeunes de se découvrir un talent qu’eux-mêmes ignoraient. Il souligne l’importance de la découverte d’autres horizons : « Mon but est de travailler avec eux pour les sortir du patelin, pour qu’ils s’ouvrent à autre chose. J’ai grandi ici. Je sais que beaucoup de jeunes ne connaissent que leur quartier, ne mettent jamais les pieds à l’extérieur. La pratique du théâtre nous a amenés à faire cet échange avec une maison des jeunes en France. Ça a vraiment changé leur manière de voir les choses. Tout ça, ce sont des petites choses qui, pour les jeunes, valent beaucoup. »