▴ Rencontre avec Mohammed Abdullah (Artino)
[2017] Après plusieurs années passées à documenter le conflit syrien pour l’agence de Presse Reuters, Mohammed Abdullah, alias Artino a fini par fuir son pays pour s’installer près d’Anvers. À son arrivée en Belgique, il a été accompagné par l’asbl Convivial qui oeuvre pour l’insertion des réfugiés et qui se trouve à quelques encablures du BRASS. Dans le cadre du Parcours d’Artistes 2018, Convivial présentera les photographies d’Artino dans ses locaux, rue du Charroi.
Lorsque commence le printemps arabe en 2011, Artino participe aux manifestations, il est arrêté et jeté en prison à deux reprises. Il continue à militer contre le gouvernement syrien et fait la connaissance de Goran Tomasevic, un reporter serbe de l’agence Reuters dont il devient l’assistant. Goran lui enseigne les rudiments de la photographie de guerre.
Artino était simple amateur de photo jusque là, il devient lui-même photographe pour Reuters, couvrant un conflit de plus en plus dangereux. Il s’aventure sur la ligne de front entre les rebelles et l’armée syrienne libre, il est un jour blessé par des éclats d’obus. Deux mois plus tard, il repart prendre des photos en fauteuil roulant. En 2013, il survit à l’attaque chimique de la Ghouta, à côté de Damas.
Après encore d’autres blessures et épisodes plus effroyables les uns que les autres, Artino décide finalement de quitter son pays. En trois semaines, avec l’aide d’un passeur à 4000€, il parvient à rejoindre le Liban.
Au vu de ce parcours, difficile pour Artino de choisir quelles images montrer aujourd’hui. «Pour l’exposition à Convivial, je ne veux pas présenter d’images sanglantes du type de celles qu’attendait de moi l’agence Reuters» explique Artino. « D’abord parce que c’est trop de violence. Personne ne peut comprendre une telle violence, même pas moi qui l’ai vécue.»
Artino soutient que lui-même ne supporte pas la vue du sang. « Je faisais des milliers d’images pendant les bombardements, et ensuite, je devais les regarder pour les trier et envoyer une sélection à Reuters. Sur le moment, dans l’action, tu ne vois pas le traumatisme qui pointe, mais par la suite, tu commences à réaliser. »
« Je faisais des milliers d’images pendant les bombardements. Sur le moment, tu ne vois pas le traumatisme qui pointe, mais par la suite, tu commences à réaliser. »
Artino est convaincu qu’il existe de nombreuses autres manières de montrer la réalité de la guerre. Ainsi a-t-il finalement choisi pour cette exposition, de donner à voir les à-côtés de cette guerre : des scènes quotidiennes qui témoignent qu’au milieu du marasme, il y a une vie qui continue.
Éternel optimiste, Artino espère que la diffusion d’images fortes peut provoquer une réaction de la part du public et de la communauté internationale. “Je voudrais que les gens, en voyant des photos comme les miennes, se disent : “Ce n’est pas un choix de se retrouver dans une guerre. Ce n’est pas un choix d’être “réfugié”.
Il est essentiel pour lui que les occidentaux se rendent compte de ce qu’ont traversé ceux à qui on colle l’étiquette de “réfugié” ou de “migrant”. “Ces gens sont des êtres humains, souvent traumatisés, qui arrivent dans un autre pays avec des attentes d’être humain : l’envie de recommencer une carrière, de continuer des études ou simplement d’être heureux.”